Sa création en 1749
La Société des Vieux-Grenadiers de Genève compte aujourd'hui 262 ans d'existence.
Au milieu du XVIIIe siècle, Genève est une ville indépendante qui vit enfermée entre ses murailles et le lac pour se protéger des appétits du roi de France ou des Seigneurs de Savoie. Bastion de la Réforme, la cité de Calvin connait une économie prospère grâce en particulier à ses horlogers et ses banquiers fort habiles et actifs avec l'Angleterre et la Hollande.
Les Seigneurs-Syndics qui gèrent Genève maintiennent la sécurité avec un contingent de troupes professionnelles et la milice constituée par tous les citoyens valides. Parmi ceux-ci, Bourgeois établis, propriétaires d'ateliers ou de commerces, entrepreneurs, les Grenadiers représentent l'élite, admirée comme telle par la population. Ces porteurs de grenades, (apparue en 1634 pendant le siège de Ratisbonne et qui équipe les régiments français dès 1667), forment la garde des syndics qu'ils escortent jusqu'en la cathédrale de Saint-Pierre pendant les séances solennelles.
1749, c'est l'époque où les Cercles privés fleurissent. Cette mode, venue d'Angleterre, offre aux Genevois l'occasion de se retrouver à l'abri des contrôles de la Vénérable Compagnie des pasteurs qui lutte contre la consommation de vins et la pratique du jeu "qui pervertissent les habitants". On y parle aussi de politique car le régime patriarcal des conservateurs pèse sur des citoyens qui aspirent à une véritable gestion démocratique.
C’est dans ce climat crispé que 14 Grenadiers créent leur Cercle. Ils louent une petite maison "hors-les-murs", à Plainpalais où ils se retrouvent pour se détendre, jouer aux boules ou aux cartes en vidant des pichets de vin du pays. Cette activité de loisirs contribue à cimenter l'amitié entre ces compagnons d'arme qui, le dimanche, après le culte obligatoire, rejoignent leur domaine avec leurs familles.
Genève devient française
Au gré des années, les Grenadiers animent leur Cercle, qui s'épanouit avec les 200 autres "clubs" recensés en 1782.
Hélas, la Révolution française va profondément bouleverser la vie de la petite cité. Paris occupe les cantons suisses pour créer une République helvétique vassale qui lui assure le contrôle de son principal ennemi, l'Autriche. Le Directoire, entend "protéger" Genève et impose un traité de réunion à la Grande République décrétant les Genevois "Français-nés" !
Pour nos Grenadiers c'est la catastrophe. Ils resserrent les rangs en leur Cercle du Molard, doivent participer à la nouvelle Garde nationale genevoise qui réunit tous les hommes de 16 à 60 ans. Ils se retrouvent au sein du Département du Léman puis, dès 1803 dans les régiments de Napoléon !.
Les guerres vont être meurtrières. Plus de 1000 Genevois perdront la vie en Italie, en Russie, beaucoup d'invalides reviennent dans leur cité où ils survivront péniblement.
Renouveau patriotique
Pendant ces années pénibles d'occupation, les nouveaux Grenadiers de la Garde se souviennent des anciens "tirages" des Grenadiers du XVIIe siècle. Ils créent une nouvelle société de tir qui organise des Abbayes avec couronnement du Roi. Ces "Jeunes Grenadiers" avec lesquels les membres du Cercle fraternisent, vont s'activer jusqu'en 1837 se distinguant ainsi des "Vieux-Grenadiers". Ce qualificatif historique leur restera jusqu'à nos jours.
La Restauration de la Ville et République de Genève le 31 décembre 1813, après le départ des troupes françaises, marque un tournant décisif.
La Diète envoie à Genève deux compagnies de Fribourg et une de Soleure pour renforcer la protection de la cité. Le 1er juin 1814, l'arrivée de ces troupes au Port-Noir déclenche une liesse populaire extraordinaire.
Le débarquement surprise de Napoléon en Provence glace la République. Le 18 juin à Waterloo, l'Aigle s'écrase, les ailes brisées. Le 12 septembre Genève devient le 22e canton suisse.
La Société s'épanouit avec la révolution radicale de 1846, œuvre de James Fazy.
Les membres du Cercle des Vieux-Grenadiers, dont le nombre augmente régulièrement avec l'arrivée de citoyens non miliciens, louent un petit immeuble avec jardin à la rue des Savoises. Ses responsables se constituent en Société en 1828.
Au gré des années, de nombreux cabinotiers de Saint-Gervais, des carabiniers, des amis-visitants viennent grossir les rangs de la Société. La nouvelle organisation militaire fédérale a supprimé les compagnies de Grenadiers au profit des porteurs de carabines. L'arquebuse plus lourde et moins précise est reléguée au musée des souvenirs.
C'est une évolution difficile à accepter pour beaucoup d'anciens miliciens mais, l'amitié aidant, ils célèbrent en août 1849 le 100e anniversaire de la naissance du Cercle.
Un comité d'une Société restaurée est nommé en 1851. Du coup 30 nouveaux membres demandent leur admission. L'élan est donné, il ne faiblira plus.
En 1852 (ou 1853 ...) le premier Tir au canon des Vieux-Grenadiers désigne son Roi. Dès lors, chaque année en juillet, (puis en juin aujourd'hui), ce concours de tir proclame son Roi qui est l'objet de grandes réjouissances, cortèges et festivités qui prennent date dans l'histoire de la Société. (Ce canon est en fait un tube de carabine monté sur un affût en fonte et équipé d'une vis de dérive et d'une vis d'élévation. Fin tireur ou non, chacun peut tenter sa chance à égalité de succès.
Nouvelle coupe et création de la devise
Grâce à de brillantes personnalités appelées à la présidence ou au secrétariat, la Société ne cesse dès lors de devenir attractive. La présence de conseillers d'Etat comme, Moïse Vautier, Alfred Vincent ou Georges Favon lui assure son épanouissement. La politique anticléricale conduite par Antoine Carteret rallie les loges genevoises. La participation des francs-maçons aux activités de la Société s'inscrit dans les idéaux de tolérance, d'amitié et d'égalité qui correspondent à ceux d'une très grande partie des Vieux-Grenadiers, tous unis dans la même fraternité.
C'est dans cette euphorie générale que le comité propose d'ouvrir une souscription pour la création d'une nouvelle coupe créée par Emile Leysalle, membre VG et professeur à l'Ecole d'Art Industrielle. Lourde de ses 3 kilos d'argent, sculptée et gravée du nom des 168 membres des Vieux-Grenadiers et fondue à Paris, cette coupe est ornée de la devise adoptée à l'unanimité et qui gère encore notre concept patriotique : PATRIE - FAMILLE - AMITIE.
La nouvelle coupe a été inaugurée en 1882. Dès lors, ce symbole de notre convivialité est levée par tous les candidats qui "passent sous les drapeaux" quand ils ont été jugés aptes à devenir membres de la Société. Cette cérémonie "d'adoubement" selon le mode chevaleresque, a lieu deux fois par année en notre Cercle. Parrainé par deux membres, le candidat s'exprime devant l'assemblée des Vieux-Grenadiers, promet fidélité à la devise et boit à la Coupe, toujours présente après 124 ans....
Naissance de la Compagnie
La Société, inscrite au Registre fédéral du Commerce en septembre 1889, passe par des événements mémorables. En 1884 lors de l'inauguration de la statue équestre du général Dufour sur la place Neuve, le président Henri Barrès accueille tous les invités fédéraux et cantonaux au Cercle sur l'instigation de Georges Favon. Du Président de la Confédération aux présidents du Conseil National, du Conseil des Etats et du Conseil d'Etat, tous les "pontes" politiques festoient au Cercle des Vieux-Grenadiers devenu le cœur patriotique de la cité genevoise, hôtes qui signent le Grand Registre de la Société qui vient d'être inauguré.
Le Tir fédéral de 1887 va dynamiser les Vieux-Grenadiers engagés totalement à la réussite de cette Fête préparée par Moïse Vautier. Cette réussite conduit le canton de Genève à recevoir l'Exposition nationale de 1896, l'année où un Vieux-Grenadier, l'avocat radical Adrien Lachenal est élu Président de la Confédération.Le président de la Société Adrien Babel (qui assumera cette charge 17 ans), avec 220 membres (sur un effectif de 260 !) fêtent leur ami à l'Escalade dans le nouveau local qui a été acheté au Chemin du Four à Plainpalais. C'est un souvenir mémorable qui marque d'une pierre blanche la Société.
L'Exposition nationale met Genève en effervescence pendant deux semaines. Le 18 octobre 1896, la journée de clôture est aussi la journée genevoise. Sur l'instigation de Moïse Vautier, tous les Vieux-Grenadiers participent au grand cortège précédés par un peloton de 6 Grenadiers en uniforme, garde d'honneur du drapeau porté par François Fromaget qui a revêtu l'uniforme d'officier.
Le succès auprès du public est considérable. L'année 1896 ne se termine pas sans que le comité crée une Section militaire de la Société pour constituer un groupe désireux de défiler et de parader.
Bientôt une section loue des uniformes et participe à quelques cortèges, accompagnée par deux ou trois tambours. En 1902 à l'occasion du 3e centenaire de l'Escalade, une deuxième section est créée sous le commandement de François Fromaget qui dirigera la Compagnie, officiellement instituée de 1906 jusqu'en 1932.
Les Fêtes du Centenaire de 1814
Cent ans après l'arrivée des Suisses au Port Noir, après la libération de Genève par les Français, une majestueuse reconstitution est organisée le samedi 4 juillet. La Compagnie des Vieux-Grenadiers au complet présente les armes à l'arrivée des barques qui accostent avec des contingents de Fribourgeois, Soleurois et Bâlois en uniforme d'époque et au milieu d'une foule enthousiaste.
Le cortège est fastueux : musiques, costumes, enfants des écoles. Genève en liesse impressionne les Confédérés. La "Marche des Grenadiers" composée par Emile Jaques-Dalcroze pour la Fête de juin jouée au Parc Mon-Repos à sept reprises devant 6000 spectateurs demeure au répertoire de notre Musique de Marche.
Une longue marche dans le XXe siècle
La Société a eu la chance de compter sur une succession de présidents brillants qui ont conduit ses destinées avec autorité. En 1924, Ami Lamunière sera l'artisan de l'achat d'une propriété à la rue de Carouge qui va, dès 1930, représenter le cœur actif des Vieux-Grenadiers. Après 18 ans de dévouement, c'est Alfred Siza qui devient le patron incontesté d'une Société qui ne cesse d'accroître le nombre de ses membres malgré la seconde guerre mondiale et les mobilisations successives. (La Compagnie compte 68 grognards et 300 membres cotisent en 1945).
En 1949, l'année du Bicentenaire des Vieux-Grenadiers de Genève, un grand cortège avec la Musique militaire l'Elite traverse la ville. Pour la première fois un détachement de 8 Grenadiers et un tambour donne un panache supplémentaire à la cérémonie du passage sous les drapeaux.
En 1962, quand Alfred Siza quitte la barre après 20 ans d'experte conduite, 650 membres l'acclament. Edmond Boulens lui succède pour six années où le groupe des anciens (après 25 ans de sociétariat), la section de Tir, la chorale, les groupes de contemporains, le tir au canon, l'arbre de Noël pour les enfants des membres font bouillonner le Cercle d'activités.
Gilbert Golay succède à Edmond Boulens tandis que la Compagnie avec son commandant Albert Hutin et ses lieutenants, Gilles Tomasini et Marc Coppex instituent (selon le cérémonial napoléonien), le tir des salves, nouvelle prestation spectaculaire et appréciée.
En 1968, sur l'initiative d'André Blanchoud, une Musique de Marche est créée; trente musiciens porteurs du bonnet à poils vont interpréter les marches napoléoniennes de l'époque 1796 à 1812. Elle complète dès lors l'imposante batterie des tambours commandée par le tambour-major André Ecuyer en assurant aux défilés de la Compagnie une prestance supplémentaire.
Invitée en Corse pour le Bicentenaire de la naissance de Napoléon en 1969, la Compagnie et sa Musique remportent un triomphe.
En 1974, le 225e anniversaire de la Société est fêté à Plan-les-Ouates lors d'une Grande Kermesse populaire à laquelle ses sociétaires, Gilbert Duboule et Henri Schmitt, conseillers d'Etat radicaux et Mme Lise Girardin, maire radicale de Genève apportent leurs appuis. La Compagnie compte alors 128 grognards et la Société, 961 membres...
En 1975 le bouillonnant Daniel Bourguignon prend les guides d'une Société qui jouit d'une santé insolente puisque 1135 membres cotisent et animent les sections. La place manque dans l'ancienne villa de la rue de Carouge. Le comité concocte une nouvelle salle de 350 places construite en annexe, sur le jardin. En 1980 tout est prêt pour célébrer les 50 ans du Cercle en présence d'Alain Borner et Robert Ducret, sociétaires et conseillers d'Etat radicaux et de 400 convives. La Compagnie a porté son effectif à 135 titulaires.
Lorsqu' Edmond Zaugg devient président en 1981 il a l'honneur d'accompagner nos grognards invités à défiler sur les Champs-Elysées qui s'achève par une parade mémorable sur la place de la Concorde.
Aujourd'hui : une référence démocratique
Société patriotique d'abord, gardienne des principes démocratiques qui offrent aux citoyens les libertés, essentielles à une vie communautaire et à la tolérance indispensable aux échanges humains, les Vieux-Grenadiers ne s'impliquent pas dans les problèmes politiques, respectant les sensibilités de chacun des siens. Des hommes qui demeurent cependant tous attachés à préserver notre démocratie. Beaucoup de Genevois rejoignent nos rangs dans cette perspective.
Société indépendante qui vit uniquement du produit des cotisations de ses membres et du bénéfice de son restaurant, les Vieux-Grenadiers sont fiers de ne rien devoir à personne.
Sous la présidence de Guy Desbaillet, la Société célèbre en 1996 le Centenaire de sa Compagnie. Pierre-William Burnet dirige un "monstre" comité d'organisation. Commencée le samedi 21 septembre au Port-Noir, la fête se poursuit par un bivouac sur la Plaine de Plainpalais des troupes montées (les Milices vaudoises, les Dragons bernois et le Cadre Noir et Blanc de Fribourg).
Elle se poursuit le dimanche par un immense cortège qui regroupe 23 musiques et sociétés venues de toute la Suisse,(nos 128 grognards commandés par le capitaine Bernard Lusti), qui aboutit sur la place de Sardaigne à Carouge.
Un banquet réunit toutes les autorités cantonales et municipales genevoise autour de Jean-Pascal Delamuraz, président de la Confédération et Guy-Olivier Segond président du conseil d'Etat. Les ovations qui saluent leurs discours témoignent de la ferveur du public présent.
Brillant 250e anniversaire
Après six années de fonction, Guy Desbaillet cède sa place à Gérald Hettich son vice-président. Celui-ci aura la lourde tâche de préparer le 250e anniversaire de la Société en 1999, Pierre-William Burnet reconduit à la direction des opérations.
La fête de juin ouvre les festivités avec des "portes ouvertes" et une exposition dans nos locaux. En septembre une marche populaire est organisée dans la région de Russin.
Après un recueillement-hommage aux Vieux-Grenadiers disparus, le vendredi 5 novembre un grand concert regroupe cinq corps de musique genevois au Victoria-Hall. Et puis le samedi c'est le grand moment du culte œcuménique organisé en notre cathédrale Saint-Pierre et célébré par le pasteur McComish et l'abbé de Sury d'Aspremont, membre de la Société.
La Compagnie au grand complet présente les armes et la Musique de marche joue ses marches napoléoniennes.
L'émotion est palpable. Les Miliciens-Grenadiers de 1749 ressuscitent. Deux siècles et demi de fidélité. L'Amitié et l'amour de la Patrie demeurent.
C'est une femme qui préside le Conseil d'Etat. Martine Brunschwig-Graf s'exprime avec ferveur, rappelle cette histoire genevoise qui fortifie la République et la glorifie.
Avec le Contingent des Grenadiers fribourgeois au complet, les Vieux-Grenadiers gagnent la Treille où des salves crépitent; 25 coups de canon ponctuent cette cérémonie...
La réception au Foyer du Grand-Théâtre prélude au grand banquet de gala qui se déroule ensuite à Palexpo avec nos familles.
Un livre écrit par le soussigné et édité à cette occasion, retrace ces 250 années d'une vie intense et riche en péripéties. (Editions Slatkine, Genève 1999 - en vente au public chez l'éditeur)
En 2006, après neuf ans d'active présence, le président Gérald Hettich va passer le flambeau à son successeur désigné.
Alain Bosshard est prêt à poursuivre cette belle histoire.
Raymond ZANONE
Membre d’Honneur